Je suis dans le tram. Ligne D. Il fait nuit et je rentre d'une soirée passée à écrire dans un vieux pub Irlandais rempli de vieux pirates puants et de sorcières aux charmes déchus. Ils sont ma sources d'inspiration que voulez vous... J'ai bu de la bière jusqu'à avoir des relants dans le cerveau. Brevage nécessaire pour atteindre le 7e ciel des mondes de l'étrange. Ce pub Irlandais je l'ai découvert quand j'avais 17 ans. Je commençais mes études de sophrologie et je découvrais les joies de la vie étudiante à Ysthes, ville médiévale et moderne à la fois, perchée sur un plateau. Il pleut, neige et vente 8 mois sur 12 ici, et pour survivre à ce climat particulièrement rude, mieux vaut avoir de bons endroits où aller, et un moyen d'échapper à son quotidien. Le pub et l'écriture. Je finissais ma journée de sophro à 15h, je rentrais chez moi par le tram de la ligne 4 puis celui de la ligne D, j'empreintais un chemin torueux en pavés, et j'arrivais enfin dans ma petite tanière de 25m². Je me souviens, à 17ans, ce nouveau lieu me donnait des boutons, mais maintenant, avec le recul, il représente tout ce que je suis, le plus naturellement possible. Je rentrais donc chez moi, je me changeais, déposais négligemment mon uniforme sur ma chaise, j'enfilais mon vieux jupon noir en dentelle, ma jupe bordeau ou ma jupe verte, mon chemisier noir ou mon chemisier crème, je mettais ma cape par dessus, ma capuche, mes bottes et mon poignard soigneurement caché dans son étui, et fixé à ma ceinture en cuire. Je prenais mon carnet, et ma plume, de l'argent, mes cigares, et la journée continuait alors au pub.
The shamrock. Ambiance garantie. J'arrivais à 17h, tout était encore calme, en général je commençais par une guiness. Simple et efficace. Je m'installais au fond du pub comme à mon habitude. J'écrivais sans m'arrêter jusqu'à 21h, ensuite des connaissances venaient et nous discutions de tout, de rien. Vers minuit la première bagarre éclatait. C'était mon moment préféré. Puis je rentrais chez moi complètement saoule, hallucinant à chaque coin de rue, croisant les regards douteux des passants nocturnes dont je faisais partie.
Ce soir est un soir comme tout les autres soirs depuis 5 ans. Je suis saoule, assise dans le tram D, et je rentre chez moi, après une soirée arrosée, riche en conversations incensées et en écritures. Je regarde par la fenêtre du tram, je vois la nuit bleue envelopper les maisons, les vieux immeubles et les lampadaires un à un. La lune est cachée derrière la montagne, j'aperçois seulement ses rayons argentés. Seigneur que c'est beau une ville, la nuit. Je tourne alors mon regard vers les quelques personnes qui sont dans le tram avec moi. Il y a une vieille sorcière d'apparence hautaine et colérique, mais dès que je lui souris son visage s'illumine de tendresse. Un homme vêtu de noir est assis au fond du tram, mais je ne vois pas son visage, il porte un chapeau et une grand écharpe noire avec un élégant menteau en feutre. Et puis il y a cette dame avec son chat sur ses épaules, qui lit une sorte de grimmoire.
Mon arrêt arrive, les portes s'ouvrent, je descends dans l'obscurité. Le bruit de mes pas sur les pavés, la lumière des lampadaires se reflêtant sur ces pierres humides, la légère brise glaciale du mois d'octobre, les quelques matous qui fouillent dans les ordures, les bruits de la nuit dans mes oreilles endormis par la fraicheur, l'odeur de la ville, mêlée à celle de la montagne... J'en oublierais presque cette personne qui me suit depuis quelques minutes maintenant. Je sais qu'elle me suit, je sens sa présence, mais je ne me suis pas retrounée pour ne pas lui faire peur. D'après le bruit de ses pas, il s'agit d'un homme. Je prends la prochaine rue à droite, s'il continue de me suivre c'est après moi qu'il en a, car très peu de gens fréquentent cette rue, et encore moins à cette heure-ci.
Ca y est je tourne, j'avance de quelques mètres et je l'entends tourner à son tour. Cette fois c'est pour moi. Tout le monde dans cette ville sait que si un individu te suit en pleine nuit, ce n'est pas pour ton bien. Je continue de marcher, jusque devant ma porte. A ce moment là, j'enfonce la clé dans la serrure, j'ouvre la porte, et d'un signe du bras, sans regarder cette personne, je l'invite à entrer. L'homme s'arrête un instant. Sans doute est-il surpris par ma réaction. Cependant il finit par se décider à entrer. Je ne sais pas ce que je suis entrain de faire, ce que je sais c'est que l'alcool me rends complètement inconsciente de mes actes. Sans dire un mot, je tire une chaise pour qu'il s'assoit, je nous sers un verre de vodka pure, j'ôte ma cape, pose mes affaires sur mon bureau, et je m'assoie en face de lui.
Une chose étrange se produit alors : je reconnais cet homme. C'est l'individu au chapeau noir, à l'écharpe et au magnifique menteau en feutre. Il n'enlève pas sont chapeau, je ne peux pas voir son visage encore. Aucun de nous deux n'a parlé. L'ambiance est comme dans les histoires que j'écris. Je le fixe en buvant cul sec mon verre. Il en fait autant. Je découvre alors une de ses mains. Immense, fine, avec des bagues en argent, et de longs ongles soignés. Mon dieu cet homme ne peut pas être un assassin. Ses mains sont trop belles. La main disparaît sous la table. Le silence revient. J'essaye alors d'établire un contacte :
"Servez-vous, si vous voulez boire un autre verre."
Rien. Pas de réponse, pas même un signe de vie du corps assis en face de moi. Et si cette personne était un fantôme ? Je tente alors une seconde tentative : "Excusez moi, je sais pertinament que si vous m'avez suivit jusqu'ici ce n'est pas pour mon bien, mais si vous voulez bien enlever votre chapeau pour que je puisse voir votre visage, afin de savoir à quoi ressemble mon agresseur... Je ne veux pas vous embêter, je suis simplement curieuse." Quelques minutes s'écoulent avant que l'inconnu n'enlève enfin son chapeau, toujours dans le plus grand silence. Je découvre enfin à quoi il ressemble... Des grands yeux noirs et sombres, un visage blème, une bouche voilée par un hale de sang, des cheveux foncés et négligés. Si j'étais dans un roman fantastique je mettrais ma main au feu que la personne en face de moi n'est autre qu'un vampire. Il me fixe, c'est troublant. J'entends alors un murmure profond et caverneux, il me semble entendre le mince filet sonore de sa voix.
"Je n'ai pas l'intention de te faire du mal." Il se lève alors et vient jusque derrière moi. Il pose ses mains fines et immenses sur mes épaules et approche son visage du miens, me murmurant à l'oreille : "Je suis ton demi-frère." Puis il se redresse, fait le tour de ma tanière, enlève son menteau et son écharppe, et me sert un autre verre de vodka. Il s'assoit à coté de moi et allume une cigarette. Je ne sais pas trop quoi penser de cette visite si soudaine, de cette façon de m'approcher pour me dire que c'est mon demi-fère... Et si tout ceci n'était qu'un mensonge pour mieux me surprendre ? Avoir un demi-frère caché me semble tellement surréaliste. Je lui demande alors comment il s'appelle. "Iann" me répond-il, suivit du même nom de famille que le miens. "J'ai 24 ans aujourd'hui, j'ai appris il y a 3 mois que j'avais une petite soeur, j'ai mené mes recherches, j'ai emménagé ici pour pouvoir te rencontrer, je t'observe depuis quelques semaines, je n'ai vu aucune photo de toi, mais j'ai tout de suite su que nous avions un lien. Puis j'ai entendu ton prénom, le seul indice que j'avais. Je ne sais pas pourquoi, je savais que tu allais m'inviter à entrer..."
Je restais bouche-bée. Des larmes commencèrent à ruisseler sur mes joues, je m'effondrais sur la table, fortement secouée par les évènements. Iann vint alors me consoler, il me serra dans ses bras, sans rien dire. Je ressentis alors une chaleur étrange parcourir mes veines, suivit de picotements dans mon ventre. Je ne compris pas tout de suite ce qu'il se passait, je sentis alors la lame de mon poignard se retirer de mon ventre. Mon sang était à présent entre ses mains, je savais que j'aurais dû me méfier, je savais que ce n'était pas possible. Iann, ou quelqu'un d'autre, peu importe, cette personne me tenait dans ses bras avec une tendresse paradoxale. Mon poignard était à présent posé sur la table. Il s'approcha de mon oreille pour me murmurer ces quelques mots : "Mon but n'est pas de te tuer tu sais. Je voulais juste que tu souffres, que tu sois à ma mercie, que tu me supplies de t'aider. Je t'aime et te hais trop fort, c'est pour ça que j'ai fais ça. Tu ne vas pas mourir rassures toi. Je vais te soigner, tout va bien...Tout va bien..." Iann caressa mes cheveux et me porta jusqu'à mon lit. Avant de soigner ma plaie, il s'empara du poignard, et fit une entaille à l'intérieure de sa main. Son sang perla jusque dans mes veines. Pacte fraternel sanglant.
Depuis ce jour, je croise Iann de temps en temps. Je sais où il habite, et parfois je dépose au pieds de sa porte une de mes nouvelles écrite au Shamrock. Et le soir, en rentrant chez moi, je découvre parfois aussi, une silouhète s'enfuyant dans la nuit, vêtue de noire et de mystères, de troubles et de passion. A mon tour alors de découvrir un petit morceau de papier m'étant adressé, avec la signature de Iann.